"Je finis par me rendre dans le bureau de Jonathan, situé juste à droite de la cuisine. Il est petit et ensoleillé, et son austérité lui confère une ambiance zen. En dehors du bureau et du fauteuil, la seule décoration consiste en une unique fougère vert vif et deux photos encadrées – l’une de Jason et l’autre de nous trois, tout sourire, ébouriffés par le vent, la jetée de Santa Monica illuminée dans notre dos. En attendant de me faire virer, je sirote mon café froid tout en commençant à prendre note des messages du week-end. J’ai presque, presque fini par me faire à l’idée lorsqu’il appelle, à midi. Mon estomac se noue. Je n’ai jamais été virée auparavant. Et je n’ai jamais perdu autant d’argent d’un seul coup non plus. — Ce matin, commence-t-il d’une voix raide, j’ai été… surpris. Je veux juste m’assurer que vous savez dans quoi vous vous êtes engagée. Ce n’est pas un travail facile. Le soulagement siffle dans mes veines, comme de la vapeur qui s’échappe d’une soupape. Je ne sais pas vraiment ce qui l’a fait changer d’avis, et je m’en moque. — C’est d’accord. — Vous allez faire de longues heures, dit-il, et vous devrez aussi… faire d’autres choses. Je me ratatine dans mon fauteuil. — Ça ressemble à une phrase que pourrait prononcer Harvey Weinstein, dis-je avec un rire gêné. Ma remarque est accueillie par un silence total. Apparemment, j’ai une nouvelle fois fait dérailler une conversation par l’une de mes tentatives d’humour déplacées. — Non, finit-il par répondre. Mais il se pourrait que vous n’appréciiez pas certains aspects de mon style de vie. — Vous voulez parler des tourelles ? C’est sorti tout seul. Je me maudis intérieurement pour mon absence de filtre. Il me faut une muselière. Pourtant, je m’enfonce : — Peu importe. Le mauvais goût ne me dérange pas. Ce n’est rien".
"D’accord, dit-il dans un soupir lourd de déception. (Il espérait manifestement que je quitte mon poste de moi-même.) Vous pourrez rester jusqu’au retour de Jonathan. Et je suis sûr qu’il vous l’a déjà dit, mais laissez-moi insister à nouveau : personne ne doit obtenir mon numéro personnel. Personne. Jonathan me l’a déjà expliqué, avec le sérieux qu’on utilise pour évoquer des codes nucléaires. Je dois prendre les messages et transmettre les textos que je juge pertinents, personnels ou autres. Mais les seules personnes à connaître le numéro de Hayes sont son ami Ben, Jonathan et maintenant moi… en cas de fuite, il saura donc qui est le responsable. — S’assurer que les gens vous laissent tranquille. Jonathan me l’a dit. — Exactement, répond-il. Y compris vous. Puis il raccroche sans ajouter un mot. Je pousse un profond soupir et ferme les yeux. Ces six semaines vont être vraiment, vraiment très longues".
"Est-ce que… Est-ce que c’est la robe de mon rencard que vous portez ? demande-t-il, horrifié. Le bon côté, quand on n’a rien à perdre, c’est que… on n’a rien à perdre. — Elle vous plaît ? je murmure en levant un regard nerveux et empli d’espoir vers lui. Je me suis débarrassée d’elle, comme vous l’aviez demandé. Il se fige. Je vois la confusion dans son regard, et une infime lueur de terreur naissante. — Quoi ? éructe-t-il. Je me mords la lèvre et je joins les mains comme un enfant repentant. — Je pensais que ça vous plairait. Maintenant, on pourra être ensemble pour l’éternité. Il reste bouche bée et c’est comme si je pouvais lire dans ses pensées : Ce n’est pas possible. Oh, mon Dieu, qu’est-ce qu’elle a fait ? J’ai envie de continuer, mais à la place je me laisse aller contre le capot de ma voiture et je me mets à rire. — Merde, alors. Vous devriez voir votre tête. Votre invitée était en retard au tribunal et m’a demandé si nous pouvions échanger nos vêtements. Il laisse lentement échapper un souffle. — Bordel de merde. Il passe la main dans ses beaux cheveux, les décoiffant du même coup. Mince, j’aimerais bien faire ça dans ses cheveux rien qu’une fois. — Attendez. Elle vous a demandé si elle pouvait vous emprunter vos vêtements, et vous avez dit oui ? Je hausse les épaules. — Elle était vraiment en panique. Il me dévisage comme s’il attendait de plus amples explications et, quand il comprend qu’il n’y en aura pas, il tend la main pour s’emparer de la glacière. — C’était gentil de votre part, dit-il, le visage tordu par la désapprobation, avant de s’éloigner. Bizarrement, il semblait plus à l’aise quand il pensait que j’étais peut-être une meurtrière".
"Jusqu’à la mort de notre père, l’été dernier, Liddie était mon amie la plus proche. Aujourd’hui, en revanche, le gouffre entre nous semble tellement profond qu’il est devenu infranchissable, et la dernière chose dont j’ai besoin après une longue journée de travail, c’est d’entendre une de ses inévitables leçons au sujet de Matt. — Tout le monde fait des erreurs, dit-elle chaque fois qu’on se parle, car pour elle Matt fait partie de la famille – le meilleur ami de son mari, un élément incontournable de notre adolescence. Quand on est tous réunis à l’exception de Matt, elle dit qu’il manque quelque chose. Je me demande s’il lui est déjà venu à l’esprit que pour moi aussi c’est comme s’il manquait quelque chose. Que, lorsque je les vois, Alex et elle, jouer la famille parfaite avec leur fille, je vois à quoi dix années de couple étaient censées aboutir".
"J’écris un livre. Je pose le smoothie devant lui, mais il le remarque à peine. Il est trop fasciné par mon humiliante confession. — Si c’est un livre-révélation sur un médecin d’une beauté étourdissante, laissez-moi vous rappeler l’accord de confidentialité que vous avez signé. Bien que, si ce médecin fait remonter tous vos désirs sexuels à la surface, j’aimerais quand même pouvoir le lire. Si c’était quelqu’un d’autre, je pourrais presque croire qu’il flirte avec moi. Je réprime mon envie de l’encourager, même si mon ego aurait bien besoin d’une petite caresse. — Un livre-révélation sur vous ne pourrait avoir qu’un seul sujet : pourquoi j’ai décidé de tout arrêter avec les hommes. — Ma vie de lesbienne, de Natalia Bell. Ça, j’ai vraiment envie de le lire. Il me gratifie de son sourire le plus salace."
"Est-ce que vous voulez que je m’arrête quelque part avant de rentrer ce soir pour vous acheter une vingtaine de chats ? Il s’amuse un peu trop de mon célibat à mon goût. Son rictus agit comme le pincement répété d’un nerf que je n’arrive pas à situer. Je relève le menton et me force à sourire malgré moi. — J’ai bientôt un rencard, figurez-vous. J’ai passé la matinée à me convaincre que ma soirée avec Sam n’est pas un rencard, mais la suffisance de Hayes doit redescendre d’un cran. — Il s’appelle Sam. — Je croyais que Tinder était une friche remplie de types abominables qui aiment rire. — On a grandi dans la même ville. C’est le type qui m’aide sur mon livre. Le sourire de Hayes s’estompe. Je vois sa mâchoire se crisper avant qu’il passe une main dans ses cheveux. Quelque chose en moi a envie de continuer et d’accroître son malaise jusqu’à ce qu’il ne puisse plus le cacher. — Quel est le problème ? — Rien, répond-il en reposant lourdement son assiette sur la table. Ça me semble être une mauvaise idée, c’est tout".
"— Seigneur, maman, je lâche sèchement en me pinçant l’arête du nez. Tu ne comprends pas. Charlotte doit revenir dans une maison où la personne est capable de rester sobre. Tu en es capable ou pas ? — Je n’ai pas de comptes à lui rendre, répond ma mère, ni à toi non plus. Je cligne des yeux, choquée, lorsque j’entends la tonalité et que je comprends qu’elle m’a raccroché au nez. Elle m’a raccroché au nez, putain. Ce qui signifie que le Dr Shriner a sûrement raison sur ce coup. Et, à moins que la situation ne change, et vite, il se peut que je doive réellement rentrer à la maison".
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