Sortie originale : 2021
378 pages
Quelques citations
"Je n’étais pas stupide. Je savais où j’allais atterrir. À la rue. On n’adoptait pas les gosses comme moi. Ils s’attiraient des ennuis. — Non, lui dit sèchement Sparrow. Ma décision est prise. Personne ne dit rien pendant un moment. J’étais mort de trouille. J’avais envie de secouer Cat et de lui dire que je la détestais. Que c’était elle qui aurait dû mourir à la place de mamie. Qu’elle méritait de mourir. Avec toutes ses drogues, ses mecs, et ses séjours en cure de désintox. Je n’avais jamais dit à personne qu’elle me donnait du rhum pour m’endormir. Quand Troy et Sparrow nous rendaient visite par surprise, elle frottait de la poudre blanche sur mes gencives pour me ranimer. Elle jurait dans sa barbe et menaçait de me brûler vif si je ne me réveillais pas. J’avais sept ans quand j’avais compris que j’étais un toxico. Si elle ne me donnait pas de la poudre blanche tous les jours, je tremblais, transpirais et hurlais dans mon oreiller jusqu’à être à bout de forces et m’évanouir. J’avais huit ans quand je me suis désintoxiqué. Je refusais systématiquement que Cat me donne du rhum ou de la coke. Je devenais dingue dès qu’elle s’approchait de moi avec ces trucs. Un jour, je lui avais mordu le bras si fort qu’il m’était resté un bout de peau dans la bouche, salé, métallique et dur. Elle n’avait plus jamais essayé. — T’as de la chance que ma femme soit obstinée, siffla Troy. On prend Sam, mais il y aura des conditions – beaucoup de conditions. — Comme c’est étonnant, railla Cat. Je t’écoute. — Tu nous le donnes et tu signes les papiers sans négocier et sans réclamer un centime".
" Tu dégages de là ou tu serres les dents. J’étais sur le point de répondre que tout allait bien, que j’étais ridicule, quand quelqu’un s’avança, grillant toute la queue. — Elle va serrer les dents, monsieur Fumeur-de-Joints. Un rideau de larmes retenues me brouilla la vue – je savais que, si je clignais des yeux pour les chasser, tout le monde me verrait pleurer. J’étais morte de honte. Obéissant, le gérant rouvrit la barrière en métal en marmonnant tête baissée un bref bonjour à l’étranger qui s’approchait. L’inconnu se glissa dans le wagonnet, puis abaissa la barre en métal sur nos ventres et jeta sa cigarette sur le côté. Un nuage de fumée nous enveloppa tous deux. Je m’essuyai les yeux, soufflant un « merci » mortifié. Quand je levai la tête, nos regards se croisèrent, et mes entrailles implosèrent, tel un plafond de verre percuté par une supernova. Lui. Je ne le connaissais pas, mais je rêvais de lui. Je rêvais de cet homme chaque nuit depuis des années. Depuis que j’avais commencé à lire, sous mes couvertures, des livres d’amour sur les courageux chevaliers et les princesses amoureuses. Beau et altier, avec des yeux qui vous transperçaient l’âme. D’une vingtaine d’années, il avait des cheveux blond foncé et ébouriffés de manière sexy. Ses yeux étaient deux lunes d’argent – le genre qui changeait de couleur selon la lumière. Sa peau brillait, comme s’il avait été plongé dans de l’or, et il était si grand que ses genoux dépassaient du wagonnet. Il portait un T-shirt noir à col en V, qui moulait son torse et ses biceps musclés, ainsi qu’un jean noir, déchiré aux genoux. Une médaille de saint Antoine pendait à son cou au bout d’un lacet de cuir usé. — Je… Je m’appelle Aisling, dis-je en tendant une main vers lui".
"Sa voix s’insinua en moi, s’ancrant au plus profond de mon âme. Nos doigts se resserrèrent. Notre wagon cahotait tandis que des zombies agitaient les bras vers nous, essayant de nous attraper. Les autres passagers riaient et criaient. Il ne m’avait pas présenté ses condoléances comme tous les autres l’avaient fait. — Et qui est-tu, toi ? demandai-je dans un souffle. — Je suis un monstre. — Non, pour de vrai, insistai-je. — C’est vrai. Je m’épanouis dans l’obscurité. Mon travail est d’instiller la peur. Je suis le cauchemar de beaucoup de monde. Comme tous les monstres, je prends toujours ce que je veux. On atteignit le point le plus haut. Le sommet. — Et ce que je veux dans l’immédiat, Aisling, c’est t’embrasser. Le wagonnet tressauta, crissa, puis bascula, tombant à une vitesse grandissante. L’inconnu étouffa mon cri de sa bouche. Ses lèvres chaudes et salées se refermèrent sur les miennes de manière possessive. Toutes mes inhibitions, mes peurs et mon angoisse s’évaporèrent. Il sentait la cigarette, le chewing-gum à la menthe et le sexe. Il sentait l’homme. Je lâchai la rampe pour agripper le tissu fin de son T-shirt noir, l’attirant contre moi, me noyant dans ce que nous étions à cet instant précis. Un monstre dévorant une princesse, sans chevalier pour venir la sauver. Il pencha la tête sur le côté et porta la paume de sa main à ma joue, posant l’autre à l’arrière de ma tête. Sa langue écarta mes lèvres, effleurant la mienne… doucement, d’abord, puis plus avidement comme je laissai le baiser s’intensifier. Nos langues s’emmêlèrent, dansèrent, se taquinèrent, se cherchèrent. Mon ventre se crispa, et mon angoisse s’envola. Le monde semblait différent. Plus brillant. Plus grand. Une étrange chaleur inonda mon entrejambe. Je me sentais douloureusement vide. Je serrai les cuisses et sentis une bouffée d’air frais sur mon visage. Le tour était terminé. Nous étions ressortis. Il mit fin au baiser et recula. Son visage était neutre, d’un calme terrifiant. Les filles dans le wagon derrière nous marmonnèrent « merde alors » et « c’était chaud » et « ouais, c’est sûr que c’est lui, Tiff ». Lui qui ? — Premier baiser, hein ? Du pouce, il essuya une trace de salive au coin de ma bouche, un air amusé dansant dans ses yeux. Comme si j’étais un jouet. Une chose risible, remplaçable. — Tu prendras le coup de main. Les filles derrière nous se mirent à glousser. Honteuse, j’ouvris mentalement un ordinateur portable imaginaire et cliquai sur un site immobilier pour chercher un endroit où m’enterrer. — Tu ne vas pas me dire ton nom ? Vraiment ? Ma voix était rauque. Je m’éclaircis la gorge. — Imagine, si tu étais réellement mon premier baiser, je pourrais être marquée à vie. Tu pourrais me traumatiser. Je ne serais peut-être plus jamais capable de faire confiance à un homme. Le fumeur de joints avança le long des wagons, débloquant la barre de sécurité en métal. — C’est fini. Tout le monde dehors. L’inconnu écarta des cheveux de mon visage. — Tu t’en remettras, dit-il. — N’en sois pas si sûr. — Ne me sous-estime pas. Je sais beaucoup de choses sur les autres. Et puis, je t’ai déjà dit qui j’étais. Le Monstre".
"Les yeux de rapace de Sam se plantèrent dans les miens. La courbure antipathique de ses lèvres me mit en garde : je devais faire comme si on ne se connaissait pas. Nous n’étions pas surpris de nous voir. Il ne faisait aucun doute que Sam savait que sa sœur était en colocation avec mon frère. Mais jamais il n’avait pris la peine de me contacter. Mon père, qui ne se doutait pas que j’étais en train de m’effondrer intérieurement, fit les présentations. — Et voici ma fille, Aisling, conclut Athair (« père » en gaélique) en agitant la main dans ma direction, comme si j’étais un simple objet décoratif. Mon père, Gerald Fitzpatrick, était un homme grassouillet avec un visage couleur crevette, des yeux perçants et un triple menton. Sam me salua d’un léger haussement de tête, m’accordant à peine un regard. — Ravie de vous rencontrer, dis-je stoïquement. Le Monstre m’ignora. Mon frère Cillian, qui était grand et imposant, semblait pourtant minuscule à côté de Sam. Il lui lança : — Ne t’avise même pas de poser les yeux sur elle, Brennan. Aisling est un morceau de choix, pas un foutu hot-dog, elle n’est pas pour toi. — Cillian, franchement, lâcha Mère, indignée, en portant une main à ses perles, comme si elle ne partageait pas son opinion. Sam sourit et sortit son téléphone pour regarder quelque chose, comme si nous n’existions pas pour lui. Cillian s’avança vers Troy, le père de Sam. — Puis-je vous proposer, à vous et votre femme, une visite de notre demeure, l’Avebury Court Manor ?".
"Hmm, soupirai-je dans sa bouche. La petite mort. Il arracha ses lèvres des miennes, les sourcils froncés. — Pardon ? — La petite mort, répétai-je. Une perte de connaissance passagère. C’est une expression française pour décrire ce moment après l’orgasme. C’était ma gouvernante française qui me l’avait appris – avec le juron « merde », que je proférais à tout-va. Les yeux de Sam pétillèrent avec tant de délectation que je sentis la fierté me gonfler la poitrine. Ses sourires étaient comme des empreintes. Chacun était juste assez différent pour être complètement unique. — Aisling Fitzpatrick, tu es une délicieuse torture".
" Au cours des dix années qui s’étaient écoulées depuis la fête foraine, Sam Brennan était devenu un homme. Il avait délaissé les jeans noirs déchirés et les T-shirts informes au profit de pantalons Armani et de chemises classes, et il avait la même odeur que tous les milliardaires que je connaissais, portant un parfum qui comptait parmi les favoris de mes frères et coûtait mille dollars le pschitt. La seule chose qui lui restait du jeune Sam était la médaille de saint Antoine qui pendait à son cou et ces yeux moqueurs qui vous transperçaient l’âme".
"— À demain, Monstre. — Nixe, dit-il avec un bref hochement de tête. Je rentrai chez moi en vitesse et cherchai le surnom qu’il m’avait donné sur Google, euphorique, terrifiée, ravie et joyeuse. Nixe : être aquatique mi-humain mi-poisson qui vit dans un palais subaquatique et se mêle aux humains en prenant différentes formes physiques attrayantes (généralement une belle jeune fille). La nixe était un monstre féminin. Sam nous considérait toujours de la même façon. Comme des créatures sombres et imprévisibles, rôdant à la vue de tous. Maintenant qu’il m’avait laissée entrer, j’allais faire tomber tous ses murs pour qu’il m’appartienne enfin".
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