jeudi 6 août 2020

Le lieutenant et la dame blanche


Coralie Winka
Gloriana Editions (2019)
422 pages

Synopsis :
Lorsque les Allemands envahissent la zone sud en novembre 1942, Angélique a dix-sept ans. Elle s'occupe seule de la ferme familiale et de sa grand-mère qui est gravement malade. Croulant sous le poids des tâches et des responsabilités, elle trouve une aide inespérée en la personne du lieutenant Ulrich von Brackenstein, un jeune officier de la Wehrmacht, qui vient réquisitionner une parcelle de forêt appartenant à la famille. Son comportement correct et son charme ont très vite raison des réticences d'Angélique à côtoyer l'occupant. Elle accepte de l'affronter aux échecs en guise de remerciements. C'est le début d'une histoire d'amour interdite.




Je recherche souvent à lire des romances "Enemies to lovers" mais généralement, le thème cible plutôt des héros qui ne se supportent pas au début du récit....Hors, ici, ce n'est pas le cas. Si Angélique et Ulrich sont ennemis, c'est parce qu'ils font chacun parti d'un camp adverse durant la guerre.....D'ailleurs, notre jeune héroïne va longtemps (enfin, tout est relatif, on n'est pas dans "Le silence de la mer" non plus....) se poser des questions sur cette amitié "respectueuse" qui va naître entre eux-deux et se transformer rapidement en histoire d'amour. 

Il faut dire que la jeune femme se livre vraiment un combat intérieur. Certes, elle apprécie les petites visites de courtoisie d'Ulrich (le coquin, trouve toujours une raison pour venir la voir....Car la ferme familiale d'Angélique est chargée de fournir oeufs, lait et bois à la cargaison allemande installée un peu plus loin dans une grande villa réquisitionnée, c'est facile pour lui de trouver des prétextes).....Mais le problème, c'est qu'Angélique a été élevée dans une famille de résistants qui vient en aide aux juifs qui tentent de partir en Suisse (leur ferme et les bois environs servent régulièrement de cachette provisoire). 

D'ailleurs, son frère, Paul, s'est engagé dans la Résistance (officiellement, cela fait 2 ans qu'elle ne l'a pas revu...) et sa mère est aussi très "investie", notamment dans la vie du village....Son père, quant à lui, a été envoyé en Allemagne pour le STO (Service de Travail Obligatoire). 

Autant dire qu'Angélique est souvent seule et livrée à elle-même pour faire tourner la ferme. Elle est tout de même aidée de sa grand-mère paternelle, qui vit avec eux, mais au moment où le récit débute, celle-ci est très malade....

Du coup, quand le Lieutenant Von Brackenstein va lui proposer son aide, en envoyant un médecin pour sa grand-mère, autant dire qu'aux yeux de la jeune fille, le bel allemand monte de plus en plus dans son estime.....Même si elle sait qu'elle n'a pas le droit de tomber amoureuse de l'ennemi, c'est plus fort qu'elle. 

Surtout qu'Ulrich n'a rien d'un nazi froid et cruel. Il est très cultivé (d'ailleurs, ses parents étaient opposés à Hitler....C'est aussi pour ça qu'il ne la ramène pas trop et ne veut pas se faire remarquer, afin d'éviter que ses parents aient des problèmes en Allemagne). Le jeune homme a aussi du coeur, il est honnête et droit et il comprend parfaitement qu'il est considéré comme un ennemi et accepte les réticences d'Angélique à être amicale avec lui....Même si, à force de gentillesse et de belles preuves d'humanisme (je pense à un passage en particulier, avec l'aviateur anglais...), il va ravir le coeur d'Angélique et se faire également accepter par sa grand-mère.




Ce qui m'a énormément plu dans ce livre, c'est qu'en plus de l'histoire d'amour très romantique, l'auteure, Coralie Winka, nous dresse aussi un portrait juste et réaliste de la situation que vivaient les français durant l'occupation. 

Je peux dire que "Le lieutenant et la dame blanche" est un joli coup de coeur pour moi ! J'ai été transportée dans le récit, j'ai tremblé plus d'une fois sur le sort toujours incertain de nos deux héros dans cette période tellement confuse et si horrible que fut la seconde guerre mondiale. Je vous recommande totalement ce livre !




ATTENTION SPOILERS !

Ce qui m'a aussi plu dans ce livre, c'est la réalité de la guerre et le fait que beaucoup de soldats allemands étaient forcés d'obéir à des ordres parfois horrible (comme la fusillade des villageois commanditée par l'officier SS en représailles contre la Résistance, avec le gentil soldat Waldemar qui est obligé de faire partie des exécuteurs....) et que des cas de désertion ont existé - d'ailleurs, c'est ce que va faire Ulrich.....

J'ai aussi aimé que ce livre se termine bien pour nos deux héros, qui ont pu se retrouver en Suisse  (Ulrich a un oncle qui vit là-bas).....La boulangère du village, par exemple, a eu moins de chance qu'Angélique et a fini tondue à la libération..... 

J'ai adoré le passage où Ulrich va garder le silence et même aider le parachutiste anglais qu'Angélique avait caché dans sa ferme. 

J'ai aussi aimé cette petite touche artistique que l'auteure a distillé dans son roman, avec les poèmes ou le jazz. 

Angélique et Ulrich m'ont touché au coeur, même si leur histoire d'amour a été compliquée car interdite et considérée comme honteuse, voire sacrilège (aie aie aie, la réaction de sa mère quand elle découvre que sa fille couche avec un officier allemand !!!).

C'était aussi un bon point de la part de l'auteure de montrer à quel point la vie était dure à cette époque et qu'il valait mieux vivre à la campagne, avec des ressources à domicile (poules, oeufs, lait, bois pour se chauffer etc) et que les gens qui vivaient à la ville souffraient plus car étaient plus dépendants des tickets des rationnement......Cela dit, ce genre de configuration existe toujours....Si jamais nous devions nous-même traverser une grande crise économique, il vaut mieux avoir une certaine indépendance au niveau des ressources vitales.....

Quelques citations :

"— Mademoiselle, je vous prierais de bien vouloir me montrer la forêt qui appartient à votre famille, s’impatienta l’officier. Malgré le ton courtois, il ne faisait aucun doute qu’il ne supporterait aucun refus. À contrecœur, elle enfila son long manteau de laine et ses bottes. Les deux hommes la précédèrent en quittant la maison. Le vent était glacial. Le ciel d’un bleu azur. Dans la camionnette, une dizaine de soldats attendaient. Elle indiqua le chemin qui passait devant la menuiserie de son père et montra du doigt la petite pile de bois sous l’abri. 
— Voilà tout ce qui nous reste à brûler. Je ne peux quand même pas aller abattre des arbres moi-même !  
— Vous n’aurez pas besoin d’abattre des arbres. Montrez-moi juste où se trouve la forêt qui appartient à votre famille, répondit l’officier un peu sèchement. 
— C’est dans cette direction, indiqua Angélique, agacée, en désignant le chemin menant vers les vergers. Notre parcelle commence en haut de la colline. Derrière les pommiers. 
— Où en sont les frontières exactes ? insista-t-il. Elle parvint de justesse à réprimer un soupir. 
— Bon ben venez, je vais vous montrer. Mais je ne veux pas partir trop longtemps à cause de ma grand-mère. L’officier la suivit et dit quelque chose en allemand à son ordonnance qui rejoignit la camionnette avec les autres soldats. Ils marchèrent l’un à côté de l’autre. 
— De quoi souffre donc votre grand-mère ? demanda-t-il soudain. Étonnée de l’intérêt d’un ennemi pour sa grand-mère, elle s’immobilisa et fronça les sourcils. L’officier, quant à lui, fut charmé par les boucles blondes indisciplinées par le vent, qui accentuaient l’innocence de la jeune fille. Elle le considéra en se surprenant à admirer la beauté typiquement germanique de son visage. Remarquant qu’elle ne marchait plus à ses côtés, il s’arrêta à son tour et se retourna en attendant une réponse. Leurs regards s’effleurèrent. Angélique se ressaisit. 
— Il y a une dizaine de jours qu’elle délire et la fièvre ne descend pas. Le médecin dit qu’elle souffre d’une infection pulmonaire. Mais guerre et réquisitions obligent, il n’a plus accès aux médicaments qui pourraient la soigner, expliqua-t-elle sur un ton de reproche en reprenant la marche. Le lieutenant ne répondit pas. Tandis qu’ils avaient atteint un croisement, Angélique désigna un sentier continuant sur la gauche en lui détaillant les limites exactes du terrain qui leur appartenait. 
— Très bien. Mes hommes viendront dès qu’ils auront les outils nécessaires. Il y a certainement un ou deux bûcherons dans mon régiment. Nous recruterons également les hommes du village qui en sont capables, déclara-t-il satisfait".


"La mauvaise conscience s’installa en elle. Qui était donc cet Ulrich von Brackenstein ? Sa politesse, son comportement plus que correct n’étaient-ils qu’un masque sous lequel se cachait un monstre ? La jeune fille était tiraillée entre, d’une part cette aversion de l’occupant allemand en général et d’autre part, cette petite voix intérieure qui refusait de mettre Ulrich dans le même panier que ces barbares. Et Waldemar ? Elle avait du mal à imaginer le jeune garçon pouvoir faire du mal à une mouche".

"La joie procurée par la perspective de revoir Ulrich était assombrie par l’exécution à laquelle elle avait assisté. Sans arrêt, des images lui revenaient de son enfance. Les histoires drôles que le cordonnier racontait à qui voulait l’entendre et qu’elle avait beaucoup aimé écouter avant de rentrer à la maison après l’école. Tous les gamins du village allaient le voir travailler rien que pour l’entendre. Plus jamais il ne raconterait d’histoires drôles. Fusillé comme ça. Jouet du destin. Du hasard. De même pour Émile qui laissait une femme seule avec une ribambelle d’enfants. De même pour Gaston, Michel et Henri. Fusillés comme ça eux aussi. Jouets de la guerre. De l’occupation. Elle les revoyait tantôt vivants, vaquant à leurs occupations. Tantôt au sol après l’exécution. Ces images se bousculaient à intervalles réguliers pendant qu’elle tentait de faire face au quotidien. Elle ne se réjouissait même plus vraiment du retour d’Ulrich. Bien qu’il n’ait pas été présent le jour de l’exécution, il faisait quand même partie du même camp que ces assassins. En repensant au désarroi de Madame Dubois, elle avait honte. Honte à l’idée de prendre du bon temps avec un officier allemand alors que la pauvre femme se retrouvait seule avec toute sa marmaille à cause d’un autre officier allemand".

"— Ulrich..., j’ai promis à ma mère qu’on ne se verrait plus. Elle baissa rapidement la tête pour ne pas affronter sa réaction en se mordant nerveusement la lèvre inférieure. 
— C’est ce que tu veux ?  Elle perçut la déception dans sa voix. 
— Il le faut bien..., répondit-elle, sentant des larmes couler sur ses joues. 
— Qu’est-ce que ça veut dire « il le faut bien » ?  Il s’énerva et lui serra le poignet, la forçant à le regarder. 
— Je t’en prie, ne rends pas la situation plus difficile qu’elle ne l’est déjà ! Tu sais très bien ce que je veux dire... Elle s’essuya le visage du revers de la manche. 
— Je ne crois pas, non ! Ta façon de répondre à mes baisers me prouve le contraire de ce que tu me dis ! Il posa les mains à sa taille. Elle essaya sans grande conviction de l’en empêcher. Quand il voulut l’embrasser, elle tourna la tête. En guise de réponse, il se serra contre elle, dégagea ses cheveux pour l’embrasser dans le cou. Elle essaya de l’évincer en se penchant sur le côté, mais il utilisa sa force pour l’en empêcher. Il s’empara de ses lèvres brutalement, ses mains parcourant déjà son corps. Torturée par sa raison, elle remarquait, impuissante, l’effet de ses caresses sur son corps déjà vaincu. Humiliée, elle se mit à pleurer. Quand il remarqua ses larmes, il se radoucit, l’enlaça et lui caressa la tête d’une main. Elle ne résista plus, sanglota, mais déjà le contact de son corps, de ses larges épaules, de son odeur parvinrent à la calmer. 
— Excuse-moi, je ne voulais pas te brusquer... Mais juste te faire prendre conscience que tu as autant besoin de moi que moi de toi. L’idée de te perdre me rend fou".



Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez peut-être aussi :

  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire