mercredi 4 mai 2022

OPEN [Chronique express]



Andre Agassi / JR Moehringer 
Les Editions J'ai lu (2009)
608 pages 
Sortie originale 2009 

Synopsis :
« J'ai sept ans et je parle tout seul parce que je suis effrayé et parce que je suis le seul qui veuille bien m'écouter. Je murmure entre mes dents. "Abandonne, Andre, laisse tomber. Pose ta raquette et va-t'en de ce court, immédiatement." » Agassi déteste le tennis. Pourtant, vingt ans durant, il s'est battu, il a gagné souvent, échoué parfois. Et l'engouement du public pour l'athlète doit beaucoup à l'homme qu'il est, son charisme et sa force, sa vérité. Le « kid de Las Vegas » se livre sans concession : il nous parle de son père tyrannique, du chaos punk des années 1980, de ses mensonges, de son couple, de sa fondation pour les enfants défavorisés. C'est un parcours extraordinaire qui se dessine là : celui d'un homme qui a choisi d'utiliser son succès pour changer le monde.


[CHRONIQUE EXPRESS]

"J’ai toujours été timide, mais l’avalanche récente d’articles hostiles m’a poussé jusqu’aux limites de la paranoïa".

Excellente ! Tout simplement excellente ! Cette biographie du tennisman américain Andre Agassi retrace toute sa vie, de son enfance jusqu'à la sortie du livre en 2009.

Pas besoin d'être fan du Tennis, ou du joueur....En même temps, comment ne pas être titillé de curiosité (surtout si vous avez été ado dans les années 90, comme moi) par ce joueur au look flashy, avec ses longs cheveux (qui s'avèreront être une perruque, mais on ne le savait pas à l'époque ! Tout est très bien expliqué dans sa biographie...), souvent perdant malheureux face à des joueurs mythiques de son époque (et de son âge) comme son éternel rival, son compatriote Pete Sampras, ou encore l'allemand Boris Becker (qu'Agassi n'appréciait pas du tout....Cela dit, Agassi avait réussi à "trouver la faille" de l'allemand...Encore une fois, c'est expliqué dans le livre....).

Notre "kid de Las Vegas" comme il a été longtemps surnommé puisque il est originaire de cette ville, a vécu un destin incroyable, une enfance assez malheureuse, élevé à la dur, avec un père hyper exigeant qui a vu le potentiel du plus jeune de ses enfants (Andre a trois frères et soeurs plus âgés que lui, et s'ils ont tous été obligés à passer par "l'étape raquette", à cause de leur père tyrannique, c'est Andre qui avait ce "talent inné"....Alors qu'il l'avouera dans ce livre.....Il a toujours détesté le tennis !).

Le petit Andre avec son père

Personnellement, j'ai une énorme affection et une grande admiration pour cet homme au destin hors-norme et au parcours professionnel incroyable, qui, à l'instar de ses adversaires de son âge, a pris sa retraite un peu plus tard, ce qui lui aura permis de jouer contre Roger Federer ou Rafael Nadal, à leurs débuts.....Bon, évidemment, il perdra contre eux.....Un "vieux" joueur ne peut rien, physiquement contre ces deux champions de cette "nouvelle génération" (nouvelle génération qui va bientôt prendre, elle aussi, sa retraite, la roue tourne.....Le temps passe si vite, et les carrières, surtout dans le domaine sportif, sont assez courtes, pour des raisons physiques évidentes).

Mon frère jumeau avait le poster d'Andre Agassi dans sa chambre en 1990/91, en grandeur nature.....Moi, j'avais Zack Morris, de la série "Sauvés par le gong" (aussi en grandeur nature)....Chacun ses passions !

Et vous, vous en doutez, j'ai donc toujours entendu parler d'Andre Agassi, de son premier entraineur, le redoutable Nick Bollettieri (avec sa fameuse académie de tennis, créatrice de champions).....

Nick Bollettieri au centre, à sa droite, Andre Agassi, à sa gauche, Jim Courrier

Alors, disons-le tout de suite, Agassi ne nous vend pas du tout du rêve en expliquant la manière dont étaient entrainés les ados de cette "académie" qui se trouvait en Floride....Très loin du Nevada natal d'Andre....A partir de 13 ans, il a quitté sa famille pour aller dans ce centre pendant plusieurs années (un sport/étude, mais c'était plus du sport que des études, apparemment...) et évidemment, même s'il est d'une nature timide, il a aussi un côté rebelle et exubérant (comme les grands timides qui pètent les plombs à un moment).....Il raconte donc toutes les conneries qu'il aura faites là-bas. 

Il raconte également la première fois qu'il gagne un tournois, qu'il gagne de l'argent grâce à entrée dans le classement ATP qui monte petit à petit (et l'argent qui coule à flot...). 

Il raconte son rêve de vouloir remporter les 4 grands chelems (Open Australie, US Open, Roland Garros et Wimbledon).....Roland Garros sera le dernier chelem qu'il remportera, en 1999 et ce n'est pas faute d'avoir essayé pendant une décennie mais à chaque fois, il perdait en demi-finale ou en finale.....

La finale de 1990 aurait pu être la bonne, mais un "incident de douche" la veille du match va faire décoller sa perruque (il a commencé à perdre ses cheveux vers 18/19 ans....) et du coup, c'est avec les moyens du bord qu'il va essayer de bien l'accrocher (heureusement qu'il avait son bandeau) mais durant tout le match, il n'avait qu'une seule pensée : ne pas faire tomber ses cheveux.....Vous vous imaginez le scandale et l'humiliation si cela avait été le cas....Donc, sans surprise, il perd le match mais son look et son charisme entrent dans la légende....

La perruque a réussi à tenir toute la durée du match...Ouf !!!

Andre Agassi nous raconte aussi d'une manière pudique ses relations avec les femmes. Notamment avec l'actrice américaine Brooke Shields (c'est grâce à elle qu'il se rasera définitivement la tête et jouera ensuite de manière plus détendue....Tu m'étonnes !). 

L'anecdote qu'il raconte sur sa crise de jalousie quand il l'avait accompagnée au tournade de la série "Friends" dans laquelle elle jouait le rôle d'une fan un peu "dérangée" de Joey (à un moment, elle lui lèche la main) est vraiment "surprenante".....Surtout quand on sait, que de rage, il a quitté le plateau d'enregistrement, a foncé avec sa voiture chez lui et a cassé tous ses trophées de l'époque.... (heureusement celui de Roland Garros est intacte puisque il l'a remporté après son divorce avec Brooke Shields).

Andre avec sa première épouse, l'actrice Brooke Shields

Nous apprenons également qu'il avait eu un coup de coeur dès le départ pour la joueuse allemande Steffi Graf qui est de sa génération et donc, ils se croisaient souvent durant les tournois...

Son anecdote avec Wimbledon, qu'ils remportent tous les deux en 1992 est tellement touchante....Car évidemment, rien ne va se passer entre eux cette année-là (juste une bise sur les joues lors de la soirée organisée pour clôturer le tournois....En principe, le gagnant homme doit danser avec la gagnante femme, mais cette année, la danse a été annulée....Au grand dam d'Andre Agassi !!!!).

Agassi confie dans son livre avoir été tellement déçu de ne pas avoir pu danser 
avec Steffi Graf ce soir là !!! 

C'est en 1999 que notre américain rebelle arrivera à séduire enfin Steffi (qu'il appelle Stephanie dans son livre, son vrai prénom, quand il parle d'elle de manière intime....Steffi étant son nom de joueuse de tennis...).

Le couple de champions avec leurs deux enfants

Du coup, pour sa victoire de 1999 à Roland Garros, Agassi, savait que c'était sa dernière chance, vu qu'il prenait de l'âge et tout y est tellement bien décrit dans le livre, ses émotions, le regard de ses amis et entraineurs dans les gradins....Quand j'ai regardé les images sur Youtube, après avoir lu les pensées d'Andre dans le livre, et bah ça m'a vraiment fait chialer !!!!

Sa victoire à Roland Garros en 1999 contre Medvedev
Il n'y croyait plus, il a réussi a avoir ses 4 grands tournois du Chelem, enfin !!!

Ce livre contient énormément d'anecdotes, mais nous en apprenons aussi beaucoup sur la personnalité de cet homme. 

En plus d'être beau physiquement, il l'est intérieurement (pas besoin de ce livre, pour le savoir, cela se voyait à ses yeux....Il a un regard doux et gentil, on sent que c'est un brave homme !)....N'ayant jamais eu de vraie éducation (après, il s'est rattrapé, notamment au niveau de l'amour des livres), il a fondé sa propre académie, non pas de tennis, mais une école qui va de la primaire jusqu'au lycée pour les enfants de Las Vegas. Il participe aussi beaucoup à des oeuvres de charité et donnent de l'argent à divers combats humanitaires. 

Il a eu deux enfants avec Steffi Graf (avec qui, à ce jour, en 2022, il est toujours en couple) : un garçon, né en 2001 et une fille, en 2003. Son fils, apparemment est très doué dans le base-ball.....En tout cas, ni lui ni steffi n'ont souhaité encourager leurs enfants à faire du tennis, un sport solitaire et très dur physiquement.

Ce livre fait plus de 600 pages, mais je ne les ai pas vu passer ! j'ai été happée dans le récit (il a été aidé par un écrivain professionnel pour écrire son livre....Andre voulait son nom à côté du sien sur la couverture, mais celui-ci lui a dit que ce serait mieux qu'il n'y ait écrit que "Andre Agassi" (évidemment, vous vous doutez que notre tennisman au grand coeur n'oublie pas de citer l'écrivain à la fin de son livre et le remercie chaleureusement !).

Ce que je retiens surtout de ce livre, c'est son enfance "à la dure" sur le court de tennis fabriqué par son père avec un équipement pour lancer des balles - tout ça sous un soleil de plomb - dans leur jardin au milieu du désert du Nevada - (Andre aura toujours un rapport assez difficile avec son père, qui est décédé en 2021), son adolescence chaotique, à la Bollettieri Academy, ses différents looks, sa vie sentimentale assez rangée (oui, oui ! Alors qu'il aurait pu collectionner un grand nombre de conquêtes, il était très fidèle envers ses petites amies et ses relations duraient assez longtemps....Et il y est en couple avec Steffi Graf depuis plus de 20 ans maintenant), ses anecdotes sur différents adversaires, la controverse avec son histoire de drogue quand il était au plus bas de son moral (et de son niveau physique)....Sa timidité et ses amitiés durables avec certaines personnes qui sont presque devenus des "frères" comme Mike, Perry, J.P et Gil et évidemment son frère aîné Philly toujours très proche de lui. Sa grandeur d'âme et de coeur envers les plus faibles et les moins riches....Et évidemment, en pointillé, durant plusieurs années, son envie de plaire à la jolie allemande Steffi Graf...

Je ne vous cache pas qu'au fur et à mesure de ma lecture, j'allais regarder certaines infos sur internet, comme le tournage de la pub pour Canon, qu'il a fait au début de sa carrière où il dit "Image is everything"....


Lui qui avait un look tellement rebelle à l'époque, évidemment, ça n'a pas plus aux grincheux du tennis et de la presse sportive et il s'en est vite mordu les doigts....D'ailleurs, il a toujours eu un gros problème avec la presse...Un pour un homme gentil et intègre comme lui, il s'est senti "trahi", "sali"...

Ce livre est fascinant, tout comme Andre Agassi ! Il est très bien écrit, nous suivons ici les pensées et les souvenirs de l'un des plus talentueux tennismen de tous les temps. Je vous conseille à 100% sa lecture !!!!! Il a écrit ce ligne pour laisser une trace et pour ses enfants. C'est une action parfaitement réussie ! On ne peut qu'être encore plus fan de lui en terminant ce livre !

"Open" est un énorme coup de coeur pour moi !!!!!!

De plus, vous avez également quelques photos sympas à l'intérieur du livre. Que demander de plus ???

Quelques citations :

"Le tennis est le sport dans lequel on se parle à soi-même. Aucun sportif ne parle tout seul autant que les joueurs de tennis. Si les lanceurs au base-ball, les golfeurs, les gardiens de but bien sûr se parlent à eux-mêmes à voix basse, non seulement les joueurs de tennis parlent tout seuls, mais ils se répondent. Dans la chaleur d’un match, ils ont l’air de fous dans un jardin public : ils déclament, jurent et mènent de graves discussions politiques avec leur alter ego. Pourquoi ? Parce que le tennis est un sport tellement solitaire. Il n’y a que les boxeurs pour comprendre la solitude des joueurs de tennis, et encore les boxeurs ont-ils leurs soigneurs et leurs managers. Même l’adversaire constitue pour le boxeur une sorte de compagnon, quelqu’un qu’il peut empoigner et contre qui il peut grogner. Au tennis, on se tient face à l’adversaire, on échange des coups avec lui mais on ne le touche jamais, on ne lui parle jamais, ni à lui ni à personne d’autre. Le règlement interdit même à un joueur de tennis de parler à son coach pendant qu’il est sur le court. Certains comparent notre solitude à celle d’un coureur de fond, mais je trouve cela ridicule. Le coureur de fond peut éprouver la présence et même sentir l’odeur de ses adversaires. Ils ne sont qu’à quelques centimètres de distance. Au tennis, on est sur une île. De tous les sports que pratiquent les hommes et les femmes, le tennis est ce qui se rapproche le plus de la réclusion solitaire, ce qui entraîne inévitablement l’habitude de se parler à soi-même. Pour moi, cette manie commence en ce moment même, pendant la douche de l’après-midi. C’est le moment où je me mets à me dire des choses bizarres et à me les répéter jusqu’à ce que je finisse par y croire".

"Depuis qu’à Hambourg, en 1993, un spectateur s’est précipité sur le court et a poignardé Monica Seles en plein match, l’US Open a fait installer un garde du corps derrière le siège de chaque joueur, pendant toutes les pauses et les changements de côté".

"Je déteste le tennis, je le hais de tout mon cœur, et cependant je continue de jouer, je continue de frapper des balles toute la matinée, tout l’après-midi, parce que je n’ai pas le choix. Quel que soit mon désir d’arrêter, je continue. Je me supplie moi-même d’arrêter et je continue de jouer, et ce fossé, cette contradiction entre ce que je souhaite et ce que je fais en réalité ressemble au cœur même de mon existence".

"De tous les traits de caractère difficiles de mon père, la fureur est le plus inquiétant. Il est toujours sur le point de perdre son sang-froid, mais cela se produit généralement aux moments les plus inattendus. Pendant son sommeil, par exemple. Il boxe en rêvant et attrape ma mère endormie pour lui flanquer un coup de poing. En voiture, c’est la même chose. Il y a peu de choses que mon père aime autant que de conduire son Oldsmobile diesel verte, en reprenant les airs de sa cassette de Laura Branigan. Mais si un autre automobiliste l’énerve, s’il lui coupe la route ou s’il ose protester parce que mon père lui a coupé la route, alors ça se gâte".

"Si seulement je pouvais jouer au football au lieu de jouer au tennis. Je n’aime pas le sport, mais si je dois en pratiquer un pour faire plaisir à mon père, j’aimerais autant que ce soit le football. J’y joue trois fois par semaine à l’école. Et j’adore courir sur le terrain avec le vent dans mes cheveux, chercher à attraper le ballon tout en sachant que ce n’est pas la fin du monde si je ne marque pas de but. Le sort de mon père, de ma famille, de la planète ne repose pas sur mes épaules. Si mon équipe ne gagne pas, ce sera la faute collective de tous les joueurs, et personne ne viendra me hurler dans les oreilles. J’ai décidé que les sports d’équipe étaient ma voie. Mon père accepte que je joue au football parce qu’il pense que cela contribue à améliorer mon jeu de pieds sur le court." 

"Les gens ont pris l’habitude d’appeler la Bollettieri Academy « camp d’entraînement », mais c’est en réalité un fameux camp de prisonniers. Et encore, pas si fameux que ça. Nous mangeons du gruau, des viandes beiges et des ragoûts gluants, servis avec du riz nappé d’un brouet grisâtre. Nous dormons dans de petits lits bancals, alignés le long des cloisons en contreplaqué de notre dortoir quasi militaire. Nous nous levons à l’aube et nous couchons tout de suite après le dîner. Nous sortons rarement et nous avons très peu de contacts avec le monde extérieur. Comme la plupart des prisonniers, nous ne faisons rien d’autre que travailler et dormir, et notre tas de cailloux à nous c’est l’entraînement. Au service, au filet, au revers, au coup droit. De temps en temps, des matchs destinés à déterminer notre classement, du plus fort au plus faible. Par moments, on a le sentiment d’être un gladiateur s’entraînant à l’ombre du Colisée. Quant aux trente-cinq moniteurs qui nous aboient dessus pendant les cours, ils se prennent sans aucun doute pour des dresseurs d’esclaves".

"S’habiller comme moi en 1988, cela veut dire porter des shorts en jean. C’est ma signature. Ils me représentent, on en parle dans tous les articles et les portraits. Pourtant je ne les ai pas choisis, ce sont eux qui m’ont choisi. C’était en 1987, à Portland dans l’Oregon. Je participais au Challenge international Nike, et les représentants de la marque m’avaient invité dans leur suite à leur hôtel pour me montrer quelques échantillons de leurs derniers modèles. McEnroe était présent et naturellement c’est lui qui faisait son choix en premier. Il a brandi un short en jean et a dit : « Qu’est-ce que c’est que ce foutu machin ? » Mes yeux se sont arrondis. Je me suis léché les lèvres et ai pensé : Whaouh ! C’est cool, si tu n’aimes pas ça, Mac, je remporte la mise. À peine Mac l’avait-il écarté que je m’en suis saisi. Maintenant, c’est ce que je porte à tous mes matchs, et mes fans en font autant. Les journalistes sportifs y trouvent prétexte à m’éreinter. Ils disent que j’essaie de me faire remarquer. En fait, comme avec ma crête d’Iroquois, je cherche plutôt à me cacher. Ils disent que j’essaie de modifier le jeu alors que j’essaie d’empêcher le jeu de me changer, moi. Ils me traitent de rebelle mais je n’ai aucun intérêt à me rebeller. J’entretiens simplement une révolte d’adolescent tout ce qu’il y a de plus ordinaire. La différence est subtile, mais importante. Au fond, je ne fais rien d’autre que d’assumer mon identité. Et comme je ne sais pas très bien en quoi elle consiste, mes efforts pour la mettre en évidence sont bizarres, dispersés et naturellement contradictoires. Je ne fais rien d’autre que ce que je faisais à la Bollettieri Academy : défier l’autorité, tenter de définir mon identité, envoyer un message à mon père, me débattre parce qu’on ne me laisse aucun choix. Mais, cette fois, je le fais à une plus grande échelle. Quoi que je fasse et quelles que soient mes raisons, je rencontre toujours un écho. Je suis communément appelé « le sauveur du tennis américain », quoi que cela signifie. Je pense que c’est en rapport avec l’atmosphère qui règne lors de mes matchs. En plus de s’habiller comme moi, les fans commencent à adopter ma coiffure. Je vois ma touffe hérissée sur la tête d’hommes et de femmes (elle sied beaucoup mieux aux femmes). Je suis flatté par mes imitateurs, mais aussi embarrassé, complètement dérouté. Je n’arrive pas à comprendre que tous ces gens s’efforcent de ressembler à Andre Agassi alors que moi, je ne veux pas être Andre Agassi".

"Évidemment, la clef de ma personnalité, la donnée intime que je connais bien mais que je ne peux me résoudre à confier aux journalistes, c’est que je perds mes cheveux. Si je les porte longs et ébouriffés, c’est pour mieux masquer leur chute rapide. Seuls Philly et Perry sont au courant, parce qu’ils souffrent du même problème. Il y a peu de temps, Philly s’est rendu à New York chez le patron d’un institut capillaire masculin pour s’acheter quelques perruques. Il a fini par renoncer à la technique du poirier. Il m’appelle au téléphone pour me parler de l’impressionnante variété de perruques que propose l’institut. C’est une véritable palette de cheveux, dit-il. On dirait le buffet de hors-d’œuvre du Sizzler, mais rien qu’avec des perruques. Je lui demande de m’en prendre une. Tous les matins, je retrouve quelques nouvelles traces de ma personne sur mon oreiller, dans mon lavabo, dans ma douche. Je me pose la question : Vais-je devoir porter une perruque ? Pendant les tournois ? Je me réponds : Comment faire autrement ?".

"Puis, catastrophe. La veille de la finale, je prends une douche et je sens que la perruque que Philly m’a achetée est brusquement en train de se désintégrer sous mes doigts. J’ai dû employer un mauvais shampoing. Le tissage se défait et le foutu truc tombe en pièces. Dans un état de panique effroyable, je demande à Philly de venir me rejoindre dans ma chambre. — Saloperie de désastre, lui dis-je, ma perruque, regarde ! Il l’examine. — On va la faire sécher et puis on va la réparer, dit-il. — Avec quoi ? — Des pinces à cheveux. Il court tout Paris pour en trouver. Impossible de mettre la main sur la moindre pince. Il me téléphone pour me le dire. Qu’est-ce que c’est que cette ville où il n’y a pas de pinces à cheveux ? Dans le hall de l’hôtel, il tombe sur Chris Evert à qui il demande si elle a des pinces à cheveux. Elle n’en a pas. Elle lui demande pourquoi il en a besoin. Il ne répond pas. Pour finir, il trouve une amie de notre sœur Rita qui en a un sac plein. Il m’aide à restaurer la perruque et à la remettre en place en utilisant au bas mot une vingtaine de pinces. — Tu crois que ça tiendra ? — Ouais, ouais, à condition que tu ne bouges pas trop. Nous rions tous deux amèrement. Bien sûr, je pourrais jouer sans perruque. Mais après des mois et des mois exposé à la dérision, aux critiques, aux sarcasmes, je suis devenu trop lucide. Tout est dans l’image. Que dirait-on si on apprenait que je porte une perruque depuis longtemps ? Que je gagne ou que je perde, ce n’est pas de mon jeu qu’on parlerait. On ne parlerait que de mes cheveux. Et ce ne serait plus quelques gamins à la Bollettieri Academy qui se moqueraient de moi, ou douze mille Allemands à la Coupe Davis, le monde entier se moquerait de moi. En fermant les yeux, je peux presque entendre cet éclat de rire et je sais que je ne le supporterais pas. Je prie en m’échauffant avant le match. Non pas pour remporter la victoire, mais pour que ma perruque tienne bon. En temps normal, pour ma première participation à la finale d’un tournoi du Grand Chelem, j’aurais été tendu. Mais la fragilité de ma perruque me pétrifie. Va-t-elle tenir en place ou pas ? J’imagine qu’elle tombe. À chaque mouvement brusque, à chaque bond, je la vois tomber sur le sol en terre battue comme un de ces faucons que mon père tirait à la carabine. J’entends le murmure de stupéfaction monter de la foule. Je vois des gens qui, par millions, se penchent soudain sur l’écran de leur téléviseur, se regardent et, dans des dizaines de langues et de dialectes différents, disent tous à peu près la même chose : « C’est bien les cheveux d’Andre Agassi qu’on vient de voir tomber ? »".

"Elle court, soulève, étire, compte chaque calorie. Pour se motiver, elle scotche une photo sur la porte du réfrigérateur, et elle pose autour un cadre aimanté en forme de cœur. Une photo de la femme parfaite, dit-elle. La femme parfaite, avec des jambes parfaites – celles que convoite Brooke. Stupéfait, je contemple la photo. Je tends le bras, effleure le cadre. — C’est… ? — Ouaip, acquiesce Brooke. Steffi Graf".

"À bord du Concorde qui nous ramène à New York, Brad m’affirme que c’est le destin – le destin. Il a quelques bières dans le nez. — Tu as remporté les Internationaux de France hommes de 1999, poursuit-il. Et, comme par hasard, qui les a remportés côté dames ? Qui ? Dis-le-moi. J’esquisse un sourire. — Eh oui. Steffi Graf. C’est votre destin de finir ensemble. Seules deux personnes dans l’histoire du monde ont gagné les quatre tournois du Grand Chelem et une médaille d’or : toi et Steffi Graf. Le Grand Chelem d’or. C’est votre destin de vous marier. D’ailleurs, continue-t-il, voici ma prophétie. Il tire de la poche du siège la brochure promotionnelle du Concorde et griffonne dans le coin supérieur droit : 2001 : Steffi Agassi. — Ça veut dire quoi, ça ? — Qu’en 2001, vous serez mariés. Et vous aurez vos premiers gamins en 2002. — Brad, elle a un copain. Tu l’as oublié ? — Après les deux semaines que tu viens de passer, tu vas me dire qu’il y a quelque chose d’impossible ? — Eh bien, je dirai la chose suivante : maintenant que j’ai remporté Roland-Garros, c’est vrai que je me sens plus… je ne sais pas. Digne ? — Voilà. Tu vois. Je ne crois pas qu’on soit destinés à gagner tel ou tel tournoi de tennis. Destinés à finir ensemble, pourquoi pas, mais pas à frapper plus de balles gagnantes et d’aces que l’adversaire. Malgré cela, je suis réticent à remettre en cause les propos de Brad. Alors, au cas où, et parce que ça me fait plaisir de l’imaginer, je déchire le coin du programme sur lequel il vient d’écrire sa dernière prophétie et je le glisse dans ma poche".


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