samedi 17 juillet 2021

Nos âmes oubliées [Chronique express]


Stéphane Allix
Les Editions Albin Michel (2021)
336 pages


Synopsis :
« Je n'ai aucun souvenir de mon enfance. Je n'imaginais pas qu'il soit possible d'effacer à ce point des années entières de ma vie. Ce passé vient pourtant de resurgir de la plus inattendue des façons. Tout a commencé quand j'ai découvert les travaux d'un jeune scientifique dont les recherches bouleversent actuellement les neurosciences. J'étais à mille lieues d'imaginer les conséquences qu'allaient avoir sur ma vie ces révélations lorsque j'ai décidé de tenter l'expérience interdite. » Entre doutes et certitudes, Stéphane Allix s'interroge : Comment entendre les messages et les signes que notre âme ne cesse de nous envoyer ? Pourquoi sommes-nous persuadés que notre vie se résume a notre existence terrestre ? Que notre conscience est limitée à l'activité de notre cerveau ? Quelles conséquences cet aveuglement a-t-il sur notre quotidien ? Ce récit bouleversant remet en cause ce que nous pensions savoir de la réalité. Une invitation à explorer notre conscience et nos mécanismes de défense. Un témoignage exceptionnel qui permet de considérer notre vie autrement.

[CHRONIQUE EXPRESS]

Quel courage....Quel courage de la part du journaliste Stéphane Allix, dont j'ai déjà chroniqué plusieurs de ses ouvrages, de se livrer ainsi à propos du plus intime de ses drames personnels.

Au niveau du paranormal, de l'ésotérisme, ce journaliste est un expert, ayant d'ailleurs créé l'INRESS. Avant de plonger dans ce "monde de l'étrange", il a été reporter de guerre et a d'ailleurs perdu son frère en 2001 qui est mort sous ses yeux en Afghanistan.

Vous le connaissez sans doute par son livre "Le test" dans lequel il effectue un test (sans blague !) après le décès de son père pour savoir si celui-ci sera présent au rendez-vous, grâce à l'intervention de médiums réputés. 

Personnellement, c'est son livre sur les extraterrestres qui m'a le plus "impresionnée" pour le moment.....

Pour "Nos âmes oubliées", je connais plutôt bien ce sujet de mémoire traumatique dû à un choc émotionnel. Etant abonnée à des chaînes YouTube comme celle d'Alexandre Lebreton ou des sites anglo-saxons qui traitent de ce sujet (the vigilent citizen), cela ne me choque guère.....Je ne vous dis pas que certains témoignages, quand j'ai découvert cette face cachée de notre "société" m'a donné envie de vomir et m'a fait sentir terriblement mal (c'était en 2017/2018, de mémoire).

En même temps, la maltraitance (notamment sexuelle) des enfants existe depuis des siècles voire des millénaires....C'est tellement plus facile de s'en prendre à des êtres sans défenses....

Dans ce livre, Stéphane Allix nous fait part de son mal-être, de ses sensations étranges, de son enfance oubliée (en parlant de ça, si vous voulez un exemple d'une autre personne qui n'a pas beaucoup de souvenirs de son enfance, il s'agit de Mylène Farmer et regarder (ou plutôt écoutez) les sujets qu'elle traite dans ses chansons....Il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles....Bref...).

Pour Stéphane Allix, c'est plus surprenant car sa profession de reporter de guerre, puis ses recherches sur le paranormal n'auraient pas forcément laissé penser qu'il avait cette "blessure intérieure" depuis des années....

Tout est expliqué dans ce livre.......Les souvenirs resurgissent....Est-ce que l'homme qui l'a violé dans son enfance - un ami de ses parents - (et qui est encore vivant au moment où Stéphane Allix écrit ce livre confession) en éprouve du remord ?.......A vous de le découvrir en le lisant à votre tour....

Et au niveau de sa famille, sa femme, sa mère......Toutes ces révélations, d'un homme adulte qui doit faire face à l'enfant agressé qu'il a été dans le passé et qui avait tout oublié (car c'est cela l'un des grands pouvoirs du cerveau humain, celui d'effacer les traumatismes les plus ignobles....Mais qui ressurgissent néanmoins un jour ou l'autre).....

J'ai été happée par le récit. Bien entendu, je ne peux pas non plus m'empêcher de me poser la question sur le fait que ce livre sort justement au moment où le sujet du fractionnement de la personnalité, des amnésies traumatiques etc sont de plus en plus mis en lumière. (voir mis à la mode, par des jeunes gens sur YouTube et TikTok qui se "vantent" d'avoir un trouble de personnalités multiples.....No comment....Comme le chantait si bien Gainsbourg)...

Quoiqu'il en soit, ce nouveau livre de Stéphane Allix est vraiment poignant car évidemment, nous nous mettons à sa place, essayant de remettre les pièces du puzzle en place en même temps que lui....Sa relation avec sa mère est aussi importante car évidemment comment annoncer à une vieille femme quadragénaire qu'on a été violé par un ami de la famille quand on était enfant et que cette même mère n'a rien vu, rien soupçonné ?......

Et pour le côté "paranormal" alors ? Evidemment, ici, il est abordé de manière subtil, avec le chamanisme, la connexion avec un fameux arbre, un animal totem......Ici rien de "glauque", mais plutôt de la spiritualité à l'état pur, une reconnexion avec le "Tout".......La femme de Stéphane Allix, elle aussi dans le milieu de l'Esotérisme, lui apporte également une grande aide. 

Ce livre se dévore car évidemment, on a hâte de savoir si Stéphane va avoir le "courage" d'affronter son ancien bourreau, qui est toujours vivant.....On veut aussi savoir si Stéphane, après toutes ces révélations, cette boue qui remonte à la surface, ne va pas sombrer ou plutôt comprendre pourquoi il a toujours été une "tête brûlée" à la limite de l'auto-destruction (car être reporter dans un pays en guerre comme l'Afghanistan, il faut quand même avoir de sacrées c***lles !).

Je vous recommande bien évidemment la lecture de ce nouvel ouvrage du journaliste français.....En plus, comme à chaque nouveau sujet abordé dans ses livres, celui-ci permet au lecteur d'ouvrir les yeux sur certaines réalités de notre monde....Et cette fois-ci, les monstres sont de réels humains......

Quelques citations : 

"Était-il possible que la mort dont je fus témoin n’ait pas constitué la fin de la vie de mon frère ? Dans les mois qui ont suivi, j’ai pris la décision de ne pas reprendre une vie normale. Mais, en fait, avais-je le choix ? J’ai alors commencé une nouvelle existence, bien décidé à regarder le monde avec des yeux neufs. J’allais remettre en question ce que j’avais appris sur la vie, la mort, le monde. Repartir de zéro, tout réexaminer sans a priori en utilisant mes outils de journaliste d’investigation, mon discernement, non plus pour poursuivre une carrière confortable à la recherche naïve du bonheur, mais en étant déterminé à comprendre ce qui s’était produit ce matin-là, lorsque je m’étais trouvé sur le seuil, avec Thomas. Progressivement, j’ai vu s’effondrer l’ensemble des certitudes qui avaient été les miennes. Il m’a fallu du temps pour admettre que notre société, contrairement à ce qu’elle pense d’elle-même, n’est pas rationnelle. Car le matérialisme qui imprègne notre vision du monde, et que je pensais incontestable, se révéla en réalité basé sur un système de pensée invérifiable. La mort de mon frère a ouvert tant de questions".

"Dernier point, personne n’échappe aux croyances de la société et de l’époque dans laquelle il est né. Et les scientifiques ne font pas exception. Je poursuis ma démonstration. – Et puis, il y a le problème de la grille d’interprétation, dis-je à ma mère. – Qu’est-ce que tu appelles la grille d’interprétation ? – Nous sommes convaincus que la science est une sorte de citadelle d’objectivité pure, mais ce n’est pas le cas. La science est en évolution constante, et sa fonction n’est pas d’offrir une connaissance définitive – elle en est incapable – mais de permettre l’élaboration de théories. Une théorie permet d’ordonner les informations et connaissances scientifiques du moment. Elle offre une sorte de « grille d’interprétation » avec laquelle nous expliquons la réalité qui nous entoure et imaginons les lois qui la gouvernent. – La science interprète, c’est ce que tu veux dire ? – Exactement. En philosophie des sciences, cette grille d’interprétation s’appelle un paradigme. Selon la grille d’interprétation en vigueur il y a quatre siècles, par exemple, la Terre était immobile au centre de l’univers et le soleil et les astres tournaient autour. L’observation du soleil se levant à l’est et se couchant à l’ouest confirmait d’ailleurs sa rotation autour de la Terre. Les partisans de cette théorie, à l’époque de Galilée, n’étaient pas plus stupides que nous, ils exerçaient leur intelligence selon un paradigme différent du nôtre. Une « grille d’interprétation » est donc le fruit d’un consensus scientifique en évolution permanente, elle change au fur et à mesure de l’évolution des connaissances. Parfois les changements sont mineurs, parfois on découvre que l’ensemble de la théorie antérieure était faux, alors l’ancien paradigme s’effondre. C’est ainsi que la découverte de la physique quantique a fait voler en éclats les certitudes scientifiques antérieures".

"Le problème est que nous vivons aujourd’hui dans ce que l’on appelle un paradigme matérialiste. Et parce que l’être humain est psychologiquement incapable de penser et de vivre en s’imaginant que ses connaissances sont incertaines, ce qui a pour vocation de rester un modèle hypothétique est devenu une vérité d’Évangile. Dès lors, tous les phénomènes et observations qui entrent en contradiction avec le paradigme en vigueur provoquent ce que l’on appelle en psychologie une dissonance cognitive. Quand les faits contredisent nos certitudes, la tension intérieure ainsi provoquée nous conduit spontanément à remettre en cause la véracité… des faits, plutôt que notre grille d’interprétation, parce que précisément nous ne sommes pas conscients d’être sous son emprise".

"Nous sommes des êtres spirituels, aveuglés par nos beaux costumes de chair et d’os. À quoi ressemblerait notre monde si nous intégrions cette réalité dans notre quotidien ? Quel sens prendrait la vie ? Qu’est-ce que nous ferions différemment ? Pourrions-nous y voir plus clair dans nos choix sentimentaux, professionnels ? Quel regard porterions-nous sur les épreuves qui nous affectent ? Cela pourrait-il nous être utile en termes de santé ? Comment traverserions-nous nos deuils si nous savions que celles et ceux que l’on a aimés sont toujours vivants ?   Mais comment, surtout, faire disparaître une bonne fois pour toutes ces doutes que la densité du monde, sans cesse, fait réapparaître dans mon esprit ?".

"Je commence à dire ce qui se passe à Lennie. Cette vision de moi enfant, nu. Son torse. Ses actes. Moi qui ne comprends pas, qui ne dis rien. Peut-être suis-je d’accord ? Alors ce n’est pas si grave. Il est vieux aujourd’hui… Lennie est sans voix. Doucement, elle me ramène dans l’émotion. – Laisse à plus tard la question du pardon, on va peut-être prendre soin du petit garçon d’abord ? Pourquoi suis-je si soucieux d’atténuer la gravité de ce que je viens de voir ? Pourquoi cette urgence à brûler les étapes ? Comme s’il était prioritaire que je nie ma souffrance. – C’est bien de vouloir pardonner, mais d’abord, peut-être, exprime l’émotion que tu ressens, celle de ce petit garçon… – Oui… – Connecte-toi à lui. Qu’est-ce que lui ressent ? – Il est perdu. – Hum… – Il ne sait pas quoi faire, il ne sait pas quoi penser. Ce petit garçon ne sait pas quoi penser. Je plonge dans le silence. Lennie se tait et reste immobile. Je repars dans la vision. Elle est nette, précise, et à la fois très partielle. Mon dos, mes fesses, le torse de cet homme, de Lui. Je vois ce petit « moi », ce petit garçon. Le petit Stéphane. Il est maintenant assis, nu et maigre, au bord d’un lit. Il ne sourit pas mais n’exprime pas de tristesse non plus. Il est là, le regard perdu, ne sachant quoi dire, ne sachant quoi faire, le dos voûté. En fait, il n’est pas là. Il est éteint. La gravité de ce que je vois monte lentement. Ce que cet homme a fait n’est pas juste. Il m’a violé. Et cette révélation explose. Soudain, toute ma vie est là devant moi, et tout s’explique. En une fraction de seconde, je revois l’ensemble de mon existence depuis ce moment précis, ce moment de ma petite enfance, et je comprends. Je comprends qu’à cet instant, j’ai été dévasté. Qu’à partir de ce moment, j’ai grandi seul. Le soleil vivant s’est brisé. Mon être a été morcelé. Des parties de moi ont fui ce désastre, et m’ont abandonné. Depuis ce jour, je ne suis qu’un tiers de moi-même. D’immenses morceaux de mon âme m’ont quitté. Pour se réfugier dans un monde moins terrible, pour échapper à cet inceste sidérant. Je comprends. Tout devient limpide, l’obscurité de certains fragments de ma vie s’éclaire. Ces actes m’ont détruit. Tordu. Ils ont parasité ma vie. Ma relation aux autres, aux femmes, au sexe. Ils ont formaté mon désir sur le sien. Cet homme a imprégné mon être de ses démangeaisons, de ses déviances, de sa honte, de ses pulsions. Il a distillé un poison de confusion qui infecte des parties de ma psyché. Jusqu’à encore aujourd’hui. L’inceste est ma naissance sensorielle. La « normalité » sur laquelle je me suis bâti. Je me suis construit avec des matériaux pourris et détraqués, et injustes. J’ai construit ma vision du couple, de l’amour, du désir, de la tendresse et du sexe à partir de toute cette merde laissée dans mon inconscient. Des schémas d’adulte détraqué, inscrits en moi avant que j’aie même l’âge d’avoir le moindre repère, le moindre émoi. À cause de cet homme qui m’embarque dans l’anormalité de ses pulsions".

"Mon père, et Lui se trouve en arrière-plan. Je demande à ma mère si elle peut la prendre en photo avec son téléphone et me l’envoyer une fois que nous aurons raccroché. Pourquoi ? Oh, juste comme ça… Il ressort de cette discussion une émotion ambivalente. Les occasions pour que ces actes aient eu lieu n’ont pas manqué, il a été présent à de nombreuses reprises durant mes années d’enfance, en vacances, à Paris. Mais dans le même temps, la photo où il figure en second plan avec mon père devant, et que maman vient enfin de parvenir à m’envoyer, provoque un effet inverse. À cause de cette photo, il sort du monde exclusif des visions où j’ai découvert ses abus. Sur cette image de vacances, il a l’air normal. Il marche derrière mon père. Comment serait-il possible qu’il ait fait ce que je crois qu’il a fait, sans que personne ne s’en soit rendu compte, et sans que je n’en garde le moindre souvenir ? Surtout ça ! Car rien, rien ne m’est revenu en mémoire, pas un flash, en contemplant l’image sur mon téléphone, sinon une étrange impression, une sensation d’inquiétude. Il est à moitié flou. Maman doit venir dans le Lot début août. Je vais lui demander de descendre les albums, ainsi que le journal de mon père. Et je vais mener mon enquête.   En fin de journée, je suis allé arroser le jardin, il fait très chaud. C’est une fois dehors que la colère est montée en moi. Une colère contre Lui, mais aussi contre moi-même qui suis incapable de trancher. Voilà le prix du secret qui se révèle".



2 commentaires:

  1. j'ai adoré ce récit poignant, quelle humanité pour évoquer un stress post traumatique. Stéphane nous met encore en confiance, avec un énorme travail de (para)psychologie, de psychanalyse sur soi, etc etc... Très utile à tous ceux qui souffrent.

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