mercredi 22 mai 2019

LE TEMPS DU LABYRINTHE


Pauline Libersart
Les Editions Audélo (2019)
402 pages 

Synopsis :
Je m'appelle Clothilde... ou, je m'appelais ?
Je ne sais pas.
Je ne sais plus.
Je suis morte, mais j'ai l'impression d'être si vivante. Mon corps est là, mon coeur bat, mon esprit réfléchit. Je crève de trouille à en avoir mal au ventre. Dieu, la Bible et tout ça, me faisaient bien rire.J'étais trop occupée à mener ma vie sans me soucier d'autre chose. Le paradis, l'enfer, les anges, les démons... Ce n'était que des mots, un fatras pour les esprits faibles.
Enfin, c'est ce que je croyais. Maintenant, je sais que le purgatoire existe. On peut s'y faire des amis sincères, des ennemis impitoyables et même y rencontrer son âme soeur. Ici, nous l'appelons juste le Labyrinthe.


Ouh la la ! Je ressors totalement enthousiaste de la lecture de ce livre !!!! Je connaissais déjà la plume de l’auteure française Pauline Libersart mais c’est la première fois que je lis d’elle une romance fantastique. Et ma foi, je dois dire que c’est vraiment un joli coup de cœur pour moi car j’ai été totalement happée par le récit, à toujours attendre avec impatience – à chaque fois que j’étais obligée d’interrompre ma lecture -  le moment où je pourrais me replonger dans ce labyrinthe étrange et fascinant mais aussi assez anxiogène à certains moments !

En plus, cela fait bien deux semaines que j’ai terminé mon livre, mais le récit m’a tellement plu et marquée que je n’ai pas besoin de farfouiller beaucoup dans mes souvenirs pour écrire cette chronique ! (et ça, c’est signe pour moi que le récit est de qualité, croyez-moi !).

Les thèmes abordés dans le livre ainsi que les messages véhiculés m’ont beaucoup plus, tout comme la romance entre notre héroïne, Mathilde, et l’un des habitants du labyrinthe…

Les personnages secondaires sont aussi très bien amenés (Big up pour le jeune Corentin !) et m’ont procuré une multitude d’émotions, autant positives que négatives selon leurs degrés d’interactions avec Mathilde.

Je vous recommande totalement « Le temps du labyrinthe » si vous aimez les histoires d’amour et d’aventure sur un fond de mystère et d’ésotérisme !

Ce que j’ai aimé dans l’histoire :

1#-Les lois du labyrinthe : Je suis ultra fan du concept !!!! SPOILERS Nous comprenons très vite que Clothilde s’est retrouvée propulsée dans une espèce de purgatoire suite à son accident de voiture. En effet, après avoir renversé un jeune enfant à la sortie de l’école, alors qu’elle était en train de foncer avec sa Porsche, notre héroïne se réveille dans un endroit qui fait penser à un vieux château style moyen-âge (c’est l’idée que j’avais du labyrinthe), habillée d’une manière ridicule, sans parler de sa coupe de cheveux. Des gens vont rapidement venir à sa rencontre, menés par la belle Jade (aka Yvette). Comme nous suivons le récit à la première personne du singulier, nous nous mettons totalement dans la tête de Clothilde et nous comprenons en même temps qu’elle que quelque chose cloche dans cet endroit. Nous réalisons avec elle assez vite que ces humains qui se sont regroupés ensemble pour former une espèce de « famille » sont issus d’époques différentes et qu’il existe une hiérarchie nauséabonde entre les différents membres de ce groupe. Pour une fille des années 2010 comme Clothilde, c’est difficilement supportable (notamment la manière dont sont traitées les femmes) mais il va falloir qu’elle s’en accommode pour survivre et comprendre le fonctionnement de ce labyrinthe qui n’a pas de sorties mais qui offre aléatoirement certains objets de la vie courante ou quelconque nourriture dans des trappes situées dans certaines pièces (qui changent dès que la porte se ferme). En plus des humains, il y a aussi des créatures affreuses qui sont, nous le comprenons plus tard, en fait des humains mais transformés dans ce purgatoire pour les « punir » du comportement qu’ils ont eu dans leur vie terrestre passée….Je dois dire que j’ai vraiment été très enthousiasmée par ce concept de lieu où se retrouvent tous les humains qui ont commis des actes négatifs ou qui se sont enfermés dans une boucle infernale de culpabilité ou autres problèmes psychologiques non résolus. Les humains bloqués dans le labyrinthe y arrivent accompagnés d’un petit parchemin mystérieux sur eux, écrit en latin qui représente un peu leur personnalité (et du coup, ce qu’ils doivent faire pour évoluer et changer…). Cela signifie donc que chacun peut sortir du labyrinthe mais cela n’est pas permis à tout le monde….Le temps n’existe pas dans le labyrinthe, c’est pour cela que certaines personnes sont arrivées avant Clothilde dans ce lieu, alors que sur la Terre, elles sont nées après Clothilde (elles sont donc du futur). J’adore cette idée car cela nous oblige à réfléchir d’une autre manière que sur la ligne logique temporelle avec le passé, le présent et le futur….Si vous êtes intéressés par le paranormal et la vie dans l’au-delà comme moi, ce concept ne doit pas vous être étranger, cela dit….J’en parle dans mes chroniques notamment les livres de la médium Patricia Darré, si ça vous intéresse….Cela dit, le seul bémol à ce petit univers créé par l’auteure Pauline Libersart, c’est qu’à priori, tous les « locataires » du labyrinthe sont français ! Je suppose, en toute logique, qu’il existe donc une multitude de labyrinthes dans ce « monde parallèle » qui regroupe des gens de la même nationalité et de la même culture et que chacun de ces labyrinthes a aussi un « démon » attitré qui le garde….

2#-Le caractère de Mathilde : Pourtant, ce n’était pas gagné car au tout début du récit, Mathilde est une sale petite pimbêche prétentieuse qui pense que tout lui est dû, de par son statut social (un père chef d’entreprise et une mère ex-miss France)…D’ailleurs, pour elle, c’est tout à fait normal de conduire une Porsche à 23 ans payée par pôpa et môman (vive la jeunesse dorée…). Finalement, son « atterrissage » malgré elle dans le labyrinthe va lui faire réaliser qu’elle a vécu plus de 20 ans dans un monde futile et plein d’illusions et que son attitude égoïste et « égocentrée » ne sert à rien dans cet endroit. Son orgueil va déjà en prendre un coup quand elle va réaliser que son apparence physique dans ce lieu hostile n’a rien à voir avec ce qu’elle était quand elle était « vivante » et elle va vite se rendre compte que pour survivre, il faut qu’elle « ferme sa gueule » au bon moment et qu’elle ait des bons réflexes pour courir ou se cacher, toujours accompagnée par son nouveau « meilleur ami », le jeune Corentin, un gamin maigrelet de 12 ans, qui semble être le souffre-douleur du groupe (ils le surnomment « le rat ») mais que la jeune femme est bien décidée à protéger coûte que coûte….SPOILERS Enfin, au début, « l’ancienne » Mathilde utilise un peu Corentin pour son propre bénéfice, ce n’est qu’au fur et à mesure des jours et des semaines qu’elle va s’attacher à lui ! Et vu qu’ils sont entourés de lâches et de pourris, ce n’est pas facile pour eux deux de survivre….Heureusement que le démon est là pour leur donner un coup de main de temps en temps ! Et notre cher Corentin, malgré son jeune âge, a bien compris que le démon crushait sur Mathilde, le coquin !

« Je me promets de profiter de la première occasion qui se présentera pour questionner Corentin. Je veux en savoir plus sur lui, d’où il vient et de quelle époque. Ce sont les mots qu’il utilise qui m’ont mis la puce à l’oreille. Si j’additionne sa façon de parler – on dirait mon grand-père –, à Jade – Yvette – qui prétend ne connaître que l’ORTF, à Ferdinand le rétrograde qui m’a fait l’effet d’être en décalage complet avec moi, ce n’est pas très XXIe siècle. D’autres aussi portent des vêtements désuets, mais qui leur correspondent – comme ces femmes en chignon et tablier –, alors que Kevin ou même Nathaniel semblent être mes contemporains. Ils en ont le comportement. Je suis presque certaine maintenant que le Labyrinthe regroupe des « âmes » mortes à différentes époques de l’histoire ».

« — C’est quoi ce truc ? me demande-t-il. Je me dis que c’est peut-être l’opportunité de lui expliquer notre différence d’âge. 
— Ce sont des lingettes jetables, ça sert à nettoyer les bébés. C’est très utilisé à mon époque. Je suis née en 1996, et j’ai vingt-trois ans. J’attends pour voir comment il réagit. Corentin paraît juste calculer. 
— J’ai l’âge d’être ton arrière-grand-père, finit-il par dire sans avoir l’air surpris. — Tu le savais ? 
— Qu’il y a des personnes de toutes les époques ici ? Bien sûr. Patrick était né en 1952. Nathaniel se vante d’être de 1998, l’année où la France a gagné sa première coupe du monde de foot, et il a eu un accident de moto en juillet 2027, en rentrant de boîte de nuit. Ta façon de parler ressemble à la sienne ou à celle de Kevin. Pour moi, c’était évident que tu sois plus proche d’eux que de moi. Je reste sans voix. Nathaniel, qui était dans le Labyrinthe avant moi, n’a en fait pas encore eu son accident au moment où j’ai eu le mien… Marty, où as-tu garé la DeLorean ? Nous avons créé une faille dans l’espace-temps ».

3#-La romance entre Mathilde et SPOILERS le démon….Alors, pour tout vous dire, j’ai mis du temps à réaliser que le démon ne faisait qu’un avec « l’homme invisible » qui s’invitait dans les rêves coquins de notre héroïne. Nous allons le comprendre en même temps qu’eux, qu’en fait, aucun des deux n’avaient choisi cela, et surtout que le démon est en fait bien un humain, avec des devoirs, notamment celui de reconduire les âmes qui ont réussi leur « rédemption » hors du Labyrinthe. A ce sujet-là, je trouve que l’auteure a bien mené son scénario, car finalement, le démon, était bien un contemporain de Mathilde, plus précisément un militaire français. Quand ces deux-là vont enfin revenir sur Terre, c’est évidemment plus facile pour eux de se retrouver que si notre héros était né en 1940, par exemple…(encore que c’était pas gagné car l’existence du Labyrinthe est censée être effacée de la mémoire des gens qui se réveillent de leur coma)….Sauf si certains événements leur reviennent en tête et leur permet de connecter toutes les pièces du puzzle, comme pour Corentin, par exemple, qui est né en 1916, qui deviendra un héros de la guerre 39/45 et qui va devenir l’ami du grand-père de Mathilde, en toute conscience d’avoir connu cette fille dans le Labyrinthe durant son coma…mais ça, j’y reviendrai dans l’un de mes points positifs développés plus bas…..En tout cas, pour revenir à la romance entre Mathilde et le démon, j’ai vraiment adoré !!!!!!!!!!!!!

4#-Les méchants de l’histoire : SPOILERS Malgré les apparences, finalement, ceux qui ont un comportement ultra pourri, c’est bien Ferdinand, Jade ou Nathaniel (pourtant, Mathilde en avait plein la vue de Nathaniel au début, éblouie par son charisme et sa belle gueule…Le réveil a été dur…). Ces humains n’évoluent pas par rapport à ce qu’ils étaient sur Terre (d’ailleurs, c’est pour cela qu’ils n’arrivent pas à quitter le labyrinthe). Certes, il existe des créatures bien dégueulasses dans le labyrinthe (enfin, des humains changés en créatures) mais justement, leur apparence est synchro avec leur personnalité…Hors, pour la « famille » dans laquelle arrive Clothilde, il est difficile de réaliser au début, que ce groupe fonctionne à « la loi du plus fort, du plus influent, de la plus belle »….Cela fait réfléchir sur la nature humaine….Evidemment, tout le monde n’est pas comme eux, mais dans ce groupe, il y a aussi beaucoup de lâches et d’opportunistes…La nature humaine, je vous dis…..En tout cas, j’ai adoooooré quand Mathilde a réglé son compte à ce salopard de Ferdinand !!!!!!! Girl power !!!!!!! Aria Stark, le retour !

5#-Les références à notre culture : Que ce soit par l’histoire, notamment l’évocation de la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi les réflexions de Mathilde, comme par exemple sa référence avec le film « Le père noël est une ordure », ou encore « Harry Potter » ou « Retour vers le futur » etc, je dis chapeau à l’auteure car elle nous permet de nous connecter totalement avec l’héroïne (avec parfois beaucoup d’humour et de sarcasme) et on a vraiment l’impression d’être très proche d’elle, de partager une promiscuité émotionnelle très forte ! Bravo !

« — Nous sommes une famille, mais il existe d’autres groupes ici, avec lesquels nous sommes plus ou moins rivaux. Sans compter les bannis qui vivent en solitaires et sont dangereux ou encore les… créatures, chuchote-t-elle sur le ton de la confidence. Encore une fois, autour de nous, les gens se signent frénétiquement. Je suis de plus en plus convaincue d’être dans un délire sous morphine. Si Jade se met à me parler de « celui dont il ne faut pas prononcer le nom », je m’allonge par terre et je ne bouge plus en attendant que les médecins me réveillent.
— Tu verras tout ça le moment venu. Mais tu dois accepter dès maintenant qu’ici les choses sont magiques. Plus vite, tu le feras, mieux ce sera pour toi ».

« Pour être honnête, je trouve que tes lépreux ressemblent méchamment à des zombies. Un frisson me secoue de la tête aux pieds. Ça m’apprendra à avoir regardé toutes les saisons de Walking Dead en moins de deux semaines. J’ai fait une overdose. 
— C’est quoi des zombies ? demande innocemment Corentin ».

6-#-Corentin alias, le Capitaine Sardine : Le jeune allié de Clothilde est très touchant et évidemment, on se prend très rapidement d’affection pour lui. Quand il va SPOILERS disparaître du jour au lendemain du labyrinthe, bien évidemment, je me suis doutée que c’était parce qu’il avait enfin accompli sa rédemption et donc, je n’étais pas trop inquiète pour lui – j’étais plus dégoûtée pour Mathilde qui se retrouvait toute seule, du coup….Enfin, heureusement, le démon était là !.....Mais ce que j’ai vraiment adoré c’est cet effet de « la boucle est bouclée » avec le fait que Corentin, qui était un jeune garçon né au moment de la Première Guerre Mondiale, va devenir un héros en 39/45 (d’ailleurs, il était fasciné quand Mathilde lui racontait des histoires de guerre dans le Labyrinthe, ce qui constitue le futur, pour lui, il ne faut pas l’oublier !), et finalement, le destin va reconduire notre petit Capitaine Sardine vers Mathilde, par l’intermédiaire de ses grands-parents. Je trouve cela émouvant de savoir que Mathilde, quand elle était une petite fille, a connu Corentin, alors vieux monsieur tandis que dans le Labyrinthe, Mathilde était une jeune femme de 23 ans et Corentin un jeune garçon de 12 ans et qu’ils ont tissé des liens d’amitié très fort durant ce passage « inter-temporel et inter-dimensionnel». La fin de ce livre déchire vraiment au niveau des révélations (et des noeuds au cerveau !) ! Moi qui suis fan de romances, finalement, c’est l’histoire d’amitié entre Corentin et Mathilde qui m’a le plus plu !

7#-Le démon : SPOILERS Je l’ai trouvé très rapidement sympathique, malgré la peur qu’il inspirait aux habitants du Labyrinthe. Son attitude nonchalante envers Mathilde m’a vite fait comprendre qu’il ne lui ferait jamais de mal, bien au contraire ! Je trouve beau que Mathilde ait réussi à aimer le démon malgré son apparence (bon, en même temps, il était aussi sexy avec sa peau rouge et ses ailes, d’après Jade…), et finalement, nous comprenons que lui aussi est un humain qui doit attendre sa rédemption, et contrairement aux autres humains, c’est un ange qui la lui accordera afin qu’il puisse réintégrer le monde des humains….Le mystère par rapport à son prénom est bien trouvé tout comme son dénouement final. J’ai adoré le duo de choc et de charme qu’il a formé avec Mathilde, à constamment se chercher des poux, mais aussi se « séduire »….Et bien évidemment, une fois que nos deux héros reviennent sur Terre, c’est un grand bonheur de les voir se retrouver et s’aimer à nouveau, avec leurs nouvelles personnalités, car le labyrinthe les a fait évoluer positivement tous les deux….C’est vraiment une belle fin !

Ce que je n’ai pas aimé dans ce livre :
Les scènes de sexe un peu trop fréquentes : Bon, ok, déjà, elles n’arrivent pas à la 2ème page du livre, c’est déjà bien, mais je pense que l’auteure aurait dû modérer ces passages, voir les édulcorer ou les supprimer carrément car « Le temps du Labyrinthe » a tout pour faire un MERVEILLEUX livre fantastique jeunesse/young adult…..Ce livre pourrait avoir une deuxième vie auprès d’un lectorat plus jeune si les passages hot étaient supprimés car finalement, à mon avis, il n’apportent pas forcément grand-chose au récit vu que ce qui prime, surtout, c’est la survie de Mathilde et de Corentin dans ce labyrinthe et leurs relations avec les différents groupes qui peuplent cet endroit….Bon, après, je vous avoue que je ne crache pas sur les scènes de sexe entre Mathilde et son « homme invisible/démon » mais c’est dommage car du coup, ce n’est pas un livre que je pourrais recommander  mes enfants quand ils seront ados, par exemple….Sauf si Pauline décide de sortir une version édulcorée pour adolescents !!!!! Alors là, oui, du coup, j’achète le livre pour mes enfants !

Quelques citations :

« Pourquoi Jade t’a-t-elle dit qu’elle voulait un bain ?
— C’est une mission qu’elle nous a confiée. Après le repas, nous partirons à la recherche d’une salle de bains. Nous lui ramènerons l’eau, le savon et les serviettes.
— Pourquoi n’y va-t-elle pas elle-même ? Corentin me jette un regard effaré, comme si j’avais énoncé une énormité.
— C’est dangereux de se rendre dans le Labyrinthe. Madame ne sort presque jamais de la salle d’armes. Elle t’a fait un grand honneur en allant te chercher elle-même. Je me tais, le temps de digérer ces nouvelles informations et d’essayer d’analyser ce qu’il vient de me dire au regard de mes deux hypothèses. Si je délire, ça ne signifie strictement rien, juste que je m’enfonce dans les hallucinations. Si c’est un jeu télé, alors la soi-disant bienveillance de la maîtresse des lieux est un moyen de me faire marcher, de me manipuler, et le petit Corentin est là pour finir de m’embobiner avec sa bouille de chiot battu. Le plus terrible est aussi que je commence à envisager sérieusement une troisième hypothèse, et à me demander si ce que je vis n’est pas réel. J’ai eu l’impression de mourir durant l’accident. Et si c’était « ça », la mort ? ».

« — C’est Nathaniel, me chuchote Corentin. Notre chef. Je me retiens de lui répondre un « je n’avais pas deviné » ironique. Le pauvre gosse ne mérite pas que je passe ma mauvaise humeur sur lui.
— Le grand à côté c’est Ferdinand, son bras droit. Ferdinand, ça, c’est moderne ! ».

« — Depuis, tu te débrouilles tout seul ?
— Personne n’a voulu faire équipe avec moi. Ils disent tous que je suis un rat et qu’un jour ou l’autre, je vais me faire exterminer.
— Tu en as parlé à Nathaniel ? C’est notre chef, c’est à lui de veiller à la cohésion du groupe. Il fera le nécessaire.
— Non, il va sans doute… hésite-t-il un instant avant de me livrer le fond de sa pensée. Madame t’a placée avec moi pour avoir son eau, parce qu’il faut être deux pour porter une baignoire. Il y a peu d’espoir qu’il te laisse être ramasseur. Il te donnera autre chose à faire quand on va rentrer. Si tu as de la chance, tu seras aux cuisines avec les autres femmes, ou alors il te mettra avec un homme… Sa voix a déraillé sur la fin de la phrase et pas à cause de sa mue. Il a pensé à quelque chose de très déplaisant pour moi – qui ne devrait pas venir à l’esprit d’un gamin de douze ans – et qu’il n’ose pas exprimer, mais que j’ai très bien compris.
— Je te promets que nous resterons tous les deux. On forme une bonne équipe. Je ne mens pas en lui faisant cette promesse. Je préfère passer mes journées avec un gentil môme débrouillard plutôt qu’avec la connasse édentée qui m’a radiné la nourriture ou avec un rouleur de mécanique à la Ferdinand. Dans ce cas, je vois arriver gros comme une maison le bourrin qui se croira obligé de me baiser – de force, car il n’y a aucune chance que je participe de mon plein gré à un accouplement avec un de ces machos arriérés – pour prouver à tous les autres membrés du groupe qu’il est un vrai mec ».

« À deux pas de nous, des hommes chassent les femmes, les attrapent, les plaquent au sol, sur les tables… Certaines cèdent sans discuter, d’autres essayent de résister, supplient, pleurent et se font même frapper. J’en entends assez pour savoir qu’il y a des viols, des tournantes. Ce n’est pas une famille, c’est un enfer où l’esclavage et le droit de cuissage ont encore cours. Mais pourquoi Nathaniel qui m’a fait l’effet d’un homme sensé, d’un meneur, ne met-il pas de l’ordre dans tout cela ?».

« Une créature, petite et frêle, à la peau verte et aux oreilles pointues, déboule dans la galerie, courant de toute la force de ses courtes jambes. Elle est poursuivie par deux autres… choses. Je songe à des hommes de Néandertal, mais sans nez. Voldemort, en beaucoup plus moche que Ralph Fiennes. Je respire au minimum par la bouche ».

« J’imagine à peine, parce que si mes calculs sont exacts, Corentin est né en 1916. Nous avons plus de quatre-vingts ans d’écart.
— Corentin, ce n’est pas très polonais. — Mes parents ont dû tous nous rebaptiser pour qu’on puisse être français. Je m’appelais Mieszko. Ma mère a choisi Corentin dans le calendrier, la sonorité lui plaisait bien. Je me souviens de cette ancienne loi qui obligeait tous les Français – et ceux qui voulaient le devenir – à porter le prénom d’un saint Chrétien.
— Tu as quel âge ?
— Douze ans, m’annonce-t-il fièrement. Je viens d’avoir mon certificat d’études avec les félicitations du jury. Il est donc mort en 1928, juste avant le début de la grande dépression. Tout colle ».  


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